Vers une formation d'éco-infirmier

A la simple lecture du programme des études de nombreuses professions médicales ou para-médicales, nous ne pouvons que constater le peu de prise en compte en formation initiale du sujet de la santé environnementale. Quand bien même le sujet est mentionné (programme des études d'infirmiers par exemple) il ne fait souvent l'objet que de 2 ou 3 heures d'enseignement. Notre système de santé est, sur ce domaine aussi, très largement axé sur les pathologies et leurs traitements. La prévention qui ne représente elle même que quelques pourcents des dépenses de santé est déjà principalement axée sur le dépistage (prévention secondaire) ou vers l'éducation thérapeutique (prévention tertiaire), érigée en priorité nationale par la loi HPST[1] de 2009. Pourtant, ni l'une ni l'autre de ces types de prévention ne sont en mesure d'enrayer l'explosion de l'incidence des pathologies chroniques. La seule dimension primaire de la prévention, en travaillant sur les facteurs de risque peut d'agir contre cette inquiétante progression de la morbidité et des coûts qui lui sont associés. Encore conviendrait-il de ne pas limiter cette action à la seule lutte contre le tabagisme ou la consommation d'alcool pour y intégrer enfin celle de la santé environnementale (et notamment des perturbateurs endocriniens). Pourtant, aussi fondamentale qu'elle soit, cette prévention primaire est bien souvent déconsidérée par les professionnels de santé eux même. Ainsi, l'exercice professionnel s'effectuant pour une large part sur le champ de la prévention primaire (médecins du travail, de PMI, infirmier(e)s scolaires...) est trop fréquemment déconsidéré par leurs collègues qui travaillent, eux, dans le curatif. D'ailleurs, en toute logique, ne conviendrait-il pas de cesser de parler d'un système "de santé" ou de professionnels "de santé" pour les rebaptiser "de maladie" ?

Qui est aujourd'hui en mesure de répondre clairement aux inquiétudes de la population concernant la qualité de l'eau, de l'air, la salubrité de l'alimentation ? la sureté des cosmétiques ? les risques liés aux champs électromagnétiques ?... Si les soignants ne peuvent répondre, le public en est souvent réduit à faire ses propres recherches sur la toile... avec toutes les réserves que l'on peut émettre sur la fiabilité et le sérieux des informations présentées...

Dans ce contexte, travaillant pour ma part depuis plus de 20 ans sur le sujet de la santé environnementale, je me suis associé à divers partenaires[2] pour mettre sur pied une formation destinée principalement aux soignants. Cette formation continue de près de 190h s'intitule : "Santé environnementale et pratiques de soins" . Elle vise à apporter à ces professionnels des connaissances théoriques sur les liens environnement et santé, mais aussi des éléments très concrets d'intégration de ces sujets dans leurs pratiques. Dans le soucis d'une indispensable vision globale des mécanismes, la colonne vertébrale de cette formation est constituée du développement durable (intégré aujourd'hui au travers de la V2010 dans les critères de la Haute Autorité de Santé). Cette formation devrait aussi permettre à ceux qui en font le choix de créer leur propre activité "d'éducateur de santé lié à l'environnement" (c'est cette activité que j'ai nommée "eco-infirmier" en regard de mes formations et pratiques professionnelles). L'intérêt de cette formation à été confirmé par l'intermédiaire d'un questionnaire réalisé par la structure actuellement porteuse de ce projet (le WECF[3]). Ce questionnaire, diffusé auprès des soignants à montré le très grand intérêt de ces professionnels pour cette thématique. La première session de cette formation débutera en septembre 2013 (à raison de 3 jours par mois sur 9 mois consécutifs). Elle se déroulera près de Grenoble (dans les locaux de l'Institut de Formation en Soins Infirmiers de St Egreve).

Contact et informations : Anne Géraud Conan : Mail : anne.geraud-conan@wecf.eu. Tél : 04 50 834 812 Philippe Perrin : www.ecoinfirmier.com. Mail : eco.infirmier@gmail.com. Tél : 04 79 88 99 67

Notes

[1] Loi "Hôpital Patient Santé Territoire"

[2] WECF, Comité développement durable en santé, Association Toxicologie Chimie, IFSI de St Egreve, Association Santé Environnement Rhône Alpes...

[3] WECF est un réseau de 150 organisations féminines environnementales qui met en oeuvre des projets à l’échelle locale et plaide pour des politiques de développement soutenable à l’échelle globale

Mercure en bouche : la bataille finale ?

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En janvier 2013 s’achèveront les négociations internationales sur le mercure, dont l'objectif est de réduire drastiquement les rejets dans l’environnement de ce redoutable polluant. Tous les usages du mercure sont concernés, et, un d'entre eux, les amalgames dentaire (les "plombages") font d'ailleurs depuis peu l'objet d'une vive polémique (le débat n'est certes pas nouveau mais les lignes bougent enfin !). Les amalgames constituent pourtant le tout premier apport de ce puissant toxique dans le corps. La France à elle seule en consomme 17 tonnes par an pour cet usage. Pourtant, depuis de très nombreuses années, différentes associations dont l’Association Dentaire Française (ADF), se donne beaucoup de mal pour nous prouver que le mercure est dangereux partout... sauf dans notre bouche ! Cependant, récemment, les Ministère de l'environnement et de la santé se positionnaient enfin (en accord avec la plupart des pays d'Europe) : « compte tenu des préoccupations environnementales et des questions émergentes relatives aux conséquences de la multi-exposition et aux effets des faibles doses, les autorités françaises ne s’opposent pas à une suppression des amalgames au mercure dans le traitement de la maladie carieuse.*». Pourtant l'AFSSAPS** a toujours combattue cette interdiction avec un argumentaire plus que douteux et une mauvaise foi que les 4 pages de ce bulletin ne suffirait à décrire.... Un vrai progrès donc. Cependant, ne voulant pas si vite tourner une si vilaine page, l'Ordre National des Chirurgiens Dentistes vient lui aussi de se manifester auprès du ministère de la santé pour que le mercure ne soit pas interdit. Bravant cette puissante institution, de nombreux dentistes ont, en réaction, signés une pétition soutenant l'interdiction. Faut-il rappeler qu'en plus du patient ainsi soigné avec des amalgames, les dentistes sont les premiers exposés à ce neuro-toxique redoutable (ils ont même déjà de fortes contraintes techniques pour récupérer les débris d'amalgames dans leurs rejets notamment liquides...). Des alternatives très efficaces existent et sont déjà appliquées (avec de meilleurs résultats que les amalgames !) par un grand nombre de praticiens. Questionnez votre dentiste... et faites votre choix ! Reste à savoir si le ministère de la santé sera capable d'aller enfin jusqu'au bout ou cèdera à la puissance du lobby ! Pour l'environnement comme pour notre bouche et notre santé le mercure doit être définitivement supprimé !

  • Observations des autorités françaises en réponse à l'étude préliminaire du cabinet BIO-Intelligence Service sur le mercure dans les amalgames dentaires et les piles, présentée le 26 mars 2012.
    • Agence Française de Sécurité Sanitaires des Produits de Santé, (devenue l’Agence National de sécurité du médicament et des produits de santé en mai 2012 suite au scandale du Mediator)

Les produits pharmaceutiques dans les ressources en eau

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La présence de résidus de médicaments dans les ressources en eau pourrait paraître surprenante (il ne viendrait à priori à personne l'idée de déverser des médicaments dans un lac ou une rivière), mais est d'une implacable logique : nos eaux usées contiennent des médicaments rejetés directement dans les canalisations par les activités de soins en médecine humaine et vétérinaire mais aussi par les élevages. Ces produits sont très variés : des agents chimiques : antibiotiques, antalgiques, anti-inflammatoires, antimitotiques, produits de contraste.... mais aussi de nombreux produits radioactifs (utilisés en service de médecine nucléaire). Beaucoup de ces produits ne sont pas ou très mal dégradés dans les stations d'épuration (elles n'ont jamais été conçues pour cela) et finissent donc dans les eaux rejetées dans le milieu naturel. Ces polluants peuvent aussi se retrouver dans les boues de traitement et contaminer alors les sols ayant reçus des épandages. Cette pollution n'est pas vraiment nouvelles mais nous parlons depuis peu (on ne peut donc vraiment parler d'un risque "émergent").

La solution pourrait, dès lors paraitre simple : collecter en amont (avant les rejets ces médicaments) ces substances. Une des difficultés vient notamment du fait que la consommation de ces médicaments est maintenant très diffuse : l'essentiel de la consommation se fait au domicile du patients rendant plus difficile la mise en place d'un système de collecte. D'autre part, le médicament, une fois incorporé est transformés par l'organisme (métabolisation) puis excrété. Certaines molécules vont ainsi donner naissance à des sous produits rejetés via les selles et les urines dans les égouts sans qu'il soit possible de mettre en place un système de collecte.

Le rejet de résidus est donc quasiment inévitable (il peut cependant être notablement réduit et ses effets fortement diminués). Un des élément préoccupant de ce dossier est la persistance de certaines molécules dans les milieux naturels (notamment dans les sédiments) c'est le cas de certains antibiotiques par exemple qui pourraient favoriser à terme l'apparition de souches bactériennes résistantes (25 000 décès par an sont dus à des bactéries résistantes en Europe[1]). Concernant les effets sur l'homme, il n'existe aucune donnée sur les effets à long terme des très faibles doses auxquelles nous pourrions être exposés via l'eau de boisson ou lors de l'incorporation dans la chaine alimentaire de certains composés. Les doses sont certes très faibles, cependant, les effets sur de longues expositions et surtout les effets cocktails (les effets liés aux mélanges de ces substances) sont quasiment inconnus. La prudence s'impose donc

Que pouvons nous faire ?

Ne pas jeter les médicaments non utilisés dans les poubelles et plus encore dans les égouts est le premier geste de bon sens. Un système de collecte existe : ramenez les chez les pharmaciens qui doivent les collecter gratuitement en vue de leur destruction par incinération. En toute logique, les conditionnements de ces produits devraient être adapté afin d'éviter "les restes" (des progrès ont été fait par l'industrie pharmaceutique sur le sujet). On pourrait aussi imaginer des médicaments moins polluants (directement -via les rejets- ou indirectement -après métabolisation-). Cette idée est déjà mise en pratique en Suède. Dans ce pays, les médecins peuvent opter pour des médicaments "écologiques" et donc privilégier les moins polluants. Ils disposent pour cela d'une base de données qui comprend 1100 substances. D'autre part, les prescriptions devraient être réalisées au plus juste. Pourtant, selon l’IGAS[2] en 2005, « une partie des médicaments délivrés au public reste inutilisée du fait du gaspillage non maîtrisé de médicaments qui correspondrait à des prescriptions largement excessives selon un ordre de grandeur de 30 à 70 % ». Tout aussi efficacement, étant donné que la grande part de ces médicaments sont absorbés puis métabolisés avant excrétion et qu'ils ne peuvent pas -dès l'ors- être collectés, il conviendrait en tout premier lieu d'en limiter notre consommation. Attention toutefois à ne pas réduire ou cesser son traitement sans avis médical !

Pourtant, réduire la consommation de médicaments serait une tâche délicate si l'on en croit un sondage de l'institut TNS Sofres pour la Mutualité française en juin 2011 : 84 % des Français ne se considèrent pas comme des consommateurs excessifs de médicaments. Les chiffres pourtant parlent d'eux même : Nous sommes les premiers consommateur européen de médicaments et les deuxième mondiaux (derrière les habitants des USA). Nous sommes mêmes les champions du monde de la consommation d'anti-dépresseurs.

Mais réduire la consommation de médicaments, c'est aussi changer de culture : un bon médecin ne s'évalue pas à la longueur de sa prescription. En France, 9 fois sur 10 les consultations chez le médecin se terminent par une prescription médicamenteuse contre une 1 fois sur 2 aux Pays- Bas. On peut donc choisir un médecin qui prend le temps de vous écouter et qui privilégie une approche d'éducation à la santé par des recommandations hygiénico-diététiques. Le choix de praticiens travaillant en médecines douces est aussi une voie que l'on peut recommander (homéopathe, ostéopathe...). Un document[3] de l'Assurance maladie présente des signes encourageants : 85 % des médecins français considèrent leurs patients réceptifs aux mesures hygiéno-diététiques en remplacement de la prise de médicaments. Et à la question "Si un médecin vous disait que pour résoudre un problème de santé vous pouvez, soit prendre un médicament, soit faire évoluer vos comportements, qu’est-ce que vous préféreriez faire ?", 83% des personnes sondées préfèrent faire évoluer leurs comportements à la prise de médicaments. Nous allons dans le bon sens ! En attendant des évolutions qui permettrons d'unir patients et prescripteur dans une réduction de la consommation, il n'est pas nécessaire d'attendre pour réduire la prise de médicaments en auto-médication dès que possible. Dans un autre registre, le mode de contraception peut, lui aussi participer à cette réduction de consommation : La pilule contraceptive constitue en effet une source de rejets de polluants hormonaux dans les ressources en eaux. Ces substances, selon plusieurs études, expliqueraient même la féminisation des populations de poissons dans les cours d'eau. Il est d'ailleurs intéressant de constater que la pilule est le premier contraceptif utilisé en France. Encore une de nos spécificités : Le stérilet est beaucoup moins utilisé par les françaises que les autres européens. Pourtant cette méfiance des femmes française (et des médecins bien souvent !) à l'égard de cette contraception ne résiste pas à l'analyse. Par rapport à la pilule, son efficacité est quasiment identique, ses risques très réduits (et sur divers aspects nettement plus faibles), il peut être prescrit, lui aussi chez une femme n'ayant pas eu d'enfants. De nombreux médecins restent pourtant réticents à sa prescription bien que les autorités sanitaires tentent depuis des années de changer cette image négative -et bien injustifiée- du stérilet. Moins cher, il est aussi moins polluant pour une efficacité quasi identique (il conviendrait de privilégier celui au cuivre plutôt que celui imprégné d'hormones).

Et oui, surprenant, mais bien réel : la lutte contre la pollution de nos ressources en eau peut aussi passer par le mode de contraception ! (surtout étant donné le nombre de femmes concernées).

Pour finir sur le sujet de la consommation, n'oublions pas non plus que réduire la consommation de médicaments , c'est aussi améliorer l'état des comptes de notre sécurité sociale (plus de 500€ de remboursement de médicaments par français et par an contre 400€ en moyenne pour le reste de l'l'Europe) mais aussi de notre propre santé : les accidents iatrogènes (complications provoquées par la prescription ou les conditions de prise d’un traitement médicamenteux) sont responsables chaque année en France de 130 000 hospitalisations et 10 000 décès (principalement de personnes âgées)[4] Mieux pour l'environnement mais aussi notre santé et notre économie... La réduction de la consommation de médicaments est au cœur du développement durable.

Notes

[1] source : "Les enjeux en matière de prévention de la santé" - J.C. Etienne et C. Corne - Les avis du conseil économique, social et environnemental - 2012

[2] IGAS (Inspection générale des affaires sociales)

[3] "Des antibiotiques aux médicaments : les Français sont-ils prêts à changer de comportement ?" - Assurance Maladie - Mardi 19 octobre 2005

[4] source : "Les enjeux en matière de prévention de la santé" - J.C. Etienne et C. Corne - Les avis du conseil économique, social et environnemental - 2012